Oscar Wilde séjourna dans ce grand hôtel de La Napoule pendant l'hiver 1898-1899.
Un séjour d'amertume douce pour un écrivain qui n'écrit plus et dont la raison d'être se délite.
Voici un article qui évoque ces quelques semaines, il vient de paraitre dans le magazine en ligne de Société Oscar Wilde, Rue des Beaux Arts.A lire ici
Un soleil de vin
chaud
Le 16 décembre 1898, Oscar Wilde arrive à la Napoule, invité
par Frank Harris à passer quelques semaines sur la Riviera, à ses frais et en
sa compagnie, avec l’espoir de reprendre
des forces morales après des mois pénibles à Paris et, le calme et la beauté
des lieux aidant, de retrouver assez de stabilité pour recommencer à écrire. Le
calme et la tranquillité de l’esprit, essentiels à la création sont, en ce
début d’hiver, tout ce à quoi il dit aspirer.
Quelques mois plus tôt,
la publication de son poème The
ballad of the Reading Gaol lui a valu la reconnaissance de sa force
poétique et tous ceux qui ont lu son rythme incantatoire et puissant savent qu’Oscar Wilde n’a pas perdu
sa voix en prison. L’homme a été brisé par le sort monstrueux que lui a réservé
l’appareil judiciaire britannique mais l’écrivain n’a pas été affecté, au contraire, au sortir de prison il semble être
à l’acmé de son art. Pourtant, depuis sa ballade, il n’écrit plus rien, ou plutôt il n’arrive plus à écrire, et cette
incapacité est pour lui comme une mutilation supplémentaire. « I can’t write », la
constatation ponctue ses lettres. Parmi le cercle d’amis qui le soutient
encore, beaucoup espèrent que ce silence ne soit que passager et tous, avec
plus ou moins d’insistance, reviendront à la charge pour l’inciter à coucher
sur le papier cette nouvelle pièce qui, ils en sont persuadés ou veulent l’en
persuader, lui permettra de retrouver son rang d’auteur dramatique et des moyens financiers. De le sauver corps et
âme et de les dédouaner de l’impuissance où ils sont de l’aider véritablement.
Il est des rivages du désespoir où un triomphe semble un objectif raisonnable.
Il occulte le réel le temps d’une respiration.
Frank Harris, lui,
croit sûrement qu’Oscar Wilde peut encore écrire cette pièce miraculeuse. Il
était si doué et il l’est encore, il n’est qu’à passer un moment avec lui pour
s’en persuader, il n’a perdu ni son humour, ni son esprit, et la plus courte de
ses lettres témoigne d’un style intact. Harris est un homme
d’affaires qui sait flairer un bon coup : aider Oscar Wilde pourrait se
révéler rentable, comme cet Hôtel des Bains, à la
Napoule, qui pourrait devenir un palace et concurrencer ceux de Cannes, là
juste en face de la baie, il suffirait d’insuffler de l’argent, de l’énergie
pour le transformer en lieu de villégiature privilégiée …. Et comme il est beau
parleur le propriétaire de l’hôtel boit ses paroles et se prend à rêver d’un
avenir mirobolant. Et comme il est beau parleur il a su convaincre Oscar de
venir à La Napoule, dans son hôtel aux œufs d’or, de laisser derrière lui la
dureté de sa vie parisienne, sa situation inextricable et fausse, de respirer
le bleu. Et dans un mois il aura produit une œuvre d’art. Un hiver au soleil en
échange d’une pièce éclatante.
Oscar Wilde, lui, a accepté l’invitation avec un
enthousiasme des premiers jours qui est perceptible dans ses lettres. Lui qui cultive
la grâce de rester léger sur des sujets graves juge son incapacité à écrire
avec une acuité douloureuse. Il a su diagnostiquer les racines de son
mal : entre l’écrivain qu’il est resté et la vie que le sort lui a
réservée, le hiatus est trop grand. L’homme peut survivre mais ne parvient plus
à faire vivre celui qui écrit en lui.
A H.C Pollit, il écrit le 26 novembre 1898 « (…)Vous me demandez ce que j’écris : j’écris très peu. Je suis perpétuellement harcelé par ce moustique : l’argent, dérangé par des petites choses comme des notes d’hôtel et le manque de cigarettes ou de cinq malheureux francs. La paix est nécessaire à l’artiste comme au saint ; mon âme est racornie par des anxiétés sordides (…). »
H.C Pollit au féminin et au masculin, comédien et collectionneur d'art |
Avec Robert Ross, il est encore plus explicite, le 3 décembre 98 « (…)Mais sur quoi pourrais-tu me donner des leçons , si ce n’est sur mon passé et mon présent, que tu exclus expressément. Je n’ai aucun futur, mon cher Robbie. Je sais que je ne suis plus capable d’une pensée complexe et structurée : je n’ai que des humeurs et des moments et L’Amour ou la Passion avec le masque de l’Amour est ma seule consolation. (…)»
L'hôtel des Bains sur lequel Frank Harris misait un avenir mirifique le temps d'un hiver et où Oscar Wilde et lui aimaient revisiter l'oeuvre de Shakespeare lors de discussions passionnées |
La Napoule, avec sa belle solitude qui voisine avec la vie élégante de Cannes et celle mondaine et théâtrale de Nice a tout pour favoriser la paix de l’âme et redonner un élan à la création. Il y a la haute lumière de l’hiver, les rochers de porphyre rouge et : « le soleil est doré comme un abricot et chaud comme le vin, l’hôtel où je réside est sur le golfe de Juan et tout autour il y a des pins avec leurs effluves piquantes, l’air devient aromatique quand il passe à travers leurs branches et on marche dans la douceur d’un tapis d’aiguilles : je voudrais que vous soyez-là ». Ecrit-il à Louis Wilkinson.
La Napoule 1901 |
Dans chacune de ses lettres, le même tableau enchanteur est
dépeint, La Napoule est magnifique, le site ressemble à un tableau de Conder,
et il y est heureux. Heureux mais seul, à la plupart de ses correspondants, il
demande de venir le rejoindre, en vain.
Il y a les visites aux boutiques de Cannes, deux fois par semaines, il y a les
conversations avec Frank Harris qui parle de Shakespeare et d’affaires à faire
et s’éclipse sans crier gare, il y a le propriétaire de l’hôtel que sa
conversation charme mais qui s’inquiète d’une note qui s’allonge, il y a les
batailles de fleurs et le carnaval de Nice, la vie cosmopolite et élégante de
la Côte, il y a la compagnie des pêcheurs, il y a de l’insouciance sans bonheur. L'insoutenable légèreté d'être quand plus rien n'a de prise, même pas le vent.
Dans la réalité, il n’y a personne et surtout
pas celui qu’il cherche : l'autre lui, l'écrivain. Celui qui savait manier la puissance des mots. Il n'y a plus que le badinage épistolaire pour pallier à la solitude.
Les semaines passent, filent, dans la déflagration des mimosas et aucun signe de l’œuvre d’art promise n’apparait. Oscar n’écrit pas plus à la Napoule qu’à Paris. A aucun moment, il ne revient sur cette incapacité, sauf pour glisser à H.C Pollit « Parfois, quand je suis morbide, je souffre de ce manque d’intellect, mais c’est une grave faute. Cela vient d’Oxford, aucun de nous ne survit à la culture. »
La Riviera est un résumé de son ancienne vie, comme le lui démontre à cette rencontre fortuite avec George Alexander, celui-là même qui montait une de ses pièces quelques années plus tôt, et qui jaillit à bicyclette, comme un diable au détour du chemin et lui adresse un sourire torve en pédalant le plus vite qu’il le peut. Absurde attitude dira Oscar, mais qui illustre l’ostracisme qui l’entoure où qu’il aille.
Le Casino flottant de Nice, circa 1900 |
Le marché aux fleurs de Nice 1890-1900 |
Les semaines passent, filent, dans la déflagration des mimosas et aucun signe de l’œuvre d’art promise n’apparait. Oscar n’écrit pas plus à la Napoule qu’à Paris. A aucun moment, il ne revient sur cette incapacité, sauf pour glisser à H.C Pollit « Parfois, quand je suis morbide, je souffre de ce manque d’intellect, mais c’est une grave faute. Cela vient d’Oxford, aucun de nous ne survit à la culture. »
La Riviera est un résumé de son ancienne vie, comme le lui démontre à cette rencontre fortuite avec George Alexander, celui-là même qui montait une de ses pièces quelques années plus tôt, et qui jaillit à bicyclette, comme un diable au détour du chemin et lui adresse un sourire torve en pédalant le plus vite qu’il le peut. Absurde attitude dira Oscar, mais qui illustre l’ostracisme qui l’entoure où qu’il aille.
Frank Harris est de moins en moins présent, mais les hasards de sa solitdue
génère un nouvel ami : Harold Mellor, jeune et neurasthénique, entiché
d’un garçon qui porte un nom de folle avoine, Eolo. Avec Mellor Oscar commence une amitié teintée d'
acide. Mellor commande le
meilleur des champagnes et sa compagnie qui fait oublier la dureté d’un Noël
solitaire. Il l’invite à Nice voir Sarah Bernhardt jouer la Tosca, favorisant
la dernière entrevue entre la
comédienne et celui qui a été son admirateur passionné. Soirée de rires et de larmes, de projets,de promesses de se revoir qui n’aboutiront sur rien. Mélancolie des grands hôtels, surface d’un monde vu de l’autre côté du miroir, visible sans plus être accessible.
comédienne et celui qui a été son admirateur passionné. Soirée de rires et de larmes, de projets,de promesses de se revoir qui n’aboutiront sur rien. Mélancolie des grands hôtels, surface d’un monde vu de l’autre côté du miroir, visible sans plus être accessible.
Sarah Bernhardt jouant la Tosca |
En février, l’ennui a gommé les pins, les rochers
rouges et les plaisir de la pêche. Sans
rien avoir écrit d'autres que des bribes évocatrices de la baie, Oscar quitte
l’hôtel des Bains, et s'installe dans les palaces de Nice. en
attendant que Frank Harris règle la note et qu’Harold Mellor l’invite et Suisse pour quelques semaines. Aux
vacances studieuses se substitue l’errance.
« Je repense avec joie et regret au beau
soleil de la Riviera et au charmant hiver que vous m’avez si gentiment et
généreusement offert. C’était très bon de votre part et je ne pourrais jamais
l’oublier. » écrit-il à Frank Harris le 19 mars 1899.
Quelques semaines anecdotiques, mais qui sont un miroir
assez fidèle de l’inextricable situation à laquelle Wilde devait faire face, de son incapacité à renouer
avec les forces de sa création littéraire et de son regard lucide où la
futilité n’est que le masque d’élégance du morbide.
V.Wilkin
Un grand merci à Mme Thérèse Sine, responsable des archives de Mandelieu la Napoule qui m'a fourni les photos de l'Hôtel des Bains tel qu'il était autour de 1900.
Un grand merci à Mme Thérèse Sine, responsable des archives de Mandelieu la Napoule qui m'a fourni les photos de l'Hôtel des Bains tel qu'il était autour de 1900.
Charles Conder Menton 1901 |
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