Anyone who lives within their means suffers from a lack of imagination.

Oscar Wilde

jeudi 26 avril 2012

Barney et la constellation Wildienne

Oscar Wilde et Nathalie Barney se sont croisés mais leurs liens ont largement dépassé les contingences d'une rencontre.  Dans son dernier éditorial pour Rue des Beaux Arts, Danielle Guérin évoque la  constellation wildienne où s'est inscrite le sillage stellaire de Barney.
Rien de prouve que Nathalie Barney ait rencontré Oscar Wilde dans les toutes dernières années qu’il vécut à Paris. Cela aurait pourtant été du domaine du possible car, bien qu’elle n’habitât pas encore la fameuse maison du 20, rue Jacob (investie après la mort d’Oscar, en 1909), si proche de la Rue des Beaux Arts, elle avait déjà quitté l’Amérique pour s’installer à Neuilly, où elle commença d’expérimenter ce qui deviendrait son célèbre salon, l’année même de la mort d’Oscar. En 1900, Nathalie Clifford Barney a vingt-quatre ans, et déjà une réputation d’intrépidité et de scandale. Ce n’est certes pas la mauvaise renommée de Wilde qui pourrait empêcher celle que Remy de Gourmont devait surnommer l’Amazonei, d’aller à la rencontre de ce paria magnifique. L’a-t-elle fait ? Rien, ni dans les lettres de Wilde, ni dans celle de Barney, ne l’atteste. Et pourtant, ces deux esprits subversifs se connaissaient de longue date.
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Nathalie a six ans quand sa famille s’installe au Long Beach Hotel de New York pour y passer l’été. Nous sommes en août 1882 (probablement le 7), et dans ce même hôtel séjourne un jeune irlandais de vingt-huit ans, qui va donner une conférence sur le mouvement artistique moderne en Angleterre. Le destin va les réunir dans le hall de l’hôtel, au moment où la petite fille tente d’échapper à une bande de jeunes garçons facétieux qui lui jettent des cerises et que le grand jeune homme ("dressed in the most extraordinary way and hair almost as long as mine") l’attrape dans ses bras pour la mettre hors de leur portée. Son sauveur s’appelle Oscar Wilde. Depuis plus de sept mois, il sillonne les Etats-Unis pour porter la bonne parole auprès d’un public américain éberlué. Bientôt à l’abri sur ses genoux, Nathalie l’écoute la réconforter en improvisant une histoire. On a dit qu’il s’agissait du Prince Heureux, que Wilde, peut-être, avait déjà en tête.








 
Cette rencontre ne va pas seulement frapper Nathalie Barney. Elle va aussi changer la vie de sa mère. Alice Pike Barney avait été fiancée à 17 ans au célèbre explorateur Henry Morton Stanley. Lasse de l’attendre pendant qu’il était en Afrique, elle avait fini par épouser un riche fabricant de voitures de chemin de fer, Albert Clifford Barney. Tout comme son père, qui avait fait construire le Grand Opéra de New-York, la jeune Alice éprouvait une forte attirance pour les arts, que n’encourageait pas son mari. Le lendemain de l’incident du Long Beach Hotel, Oscar la retrouva sur la plage avec ses deux filles. Ils eurent ensemble une longue conversation qui bouleversa le cours de sa vie en la persuadant de se livrer à sa passion en dépit de la désapprobation maritale. C’est ainsi qu’à Paris où elle s’installa avec ses filles, elle devint l’élève de Whistler et de Carolus-Duran et fut l’amie de nombreux symbolistes français.


 
Le lien avec Wilde aurait pu se rompre là, et en vérité, rien de permet de supposer qu’il y ait eu d’autres rencontres, et pourtant l’invisible présence d’Oscar Wilde ne cessa de planer sur la vie de Nathalie Barney. En 1899, ayant décidé de séduire la belle Liane de Pougy qu’elle avait admirée dans un spectacle de danse, c’est en costume de Prince Heureux qu’elle se présenta à elle en lui déclarant qu’elle était un « page d’amour » envoyé par Sapho. Courtisée par les hommes les plus riches et les plus en vue, Liane de Pougy fut néanmoins charmée par l’audace de la jeune américaine, et les deux femmes vécurent une relation passionnée qui dura jusqu’à ce que Nathalie se tournât vers d’autres amours. On dit qu’elle portait souvent ce costume pour se montrer au théâtre en compagnie de l’ensorcelante courtisane. Bien des années plus tôt, alors qu’elle avait dix ans, c’est aussi déguisée en Prince Heureux qu’elle avait posé, pour un portrait que Carolus-Duran avait voulu faire d’elle et qui trônait dans le salon de la rue Jacob. 





Longtemps, Nathalie Barney, se trouvera au centre d’un réseau aux couleurs étrangement wildiennes. Quand son père, scandalisé par ce qu’il apprend de sa vie parisienne, la rappelle aux Etats-Unis dans l’intention de la marier, elle déclare qu’elle n’acceptera de s’unir qu’à un seul homme, celui qui fut l’amant terrible de Wilde, Lord Alfred Douglas. Et si rien n’advint avec Bosie qui finit par 
trouver sa fiancée américaine en la personne de la poétesse Olive Custance, c’est avec celle-ci que Nathalie aura une liaison après l’avoir rencontrée en Angleterre à l’époque où elle vivait une relation intense avec Renée Vivien. Olive Custance apparait sur la liste que Nathalie dressait de ses plus grandes amours, et quand toutes deux partirent en voyage à Venise, Olive épingla un portrait de Bosie au mur de leur chambre en le comparant à Antinous.



 
Mais ce qui relie plus encore Nathalie Barney à Wilde, c’est sa rencontre avec Dolly Wilde, la sulfureuse et fascinante nièce d’Oscar, avec qui elle allait vivre une histoire turbulente et passionnée. Tous ceux qui ont rencontré la fille unique de Willie Wilde et de Lily Lees s’accordent à reconnaître qu’elle ressemblait étonnamment à son oncle. La ressemblance n’était pas seulement physique, mais aussi intellectuelle et morale. Le même pouvoir de séduction, le même esprit insolent, la même audace à braver les conventions. Et aussi la même tendance à l’autodestruction. Nathalie Barney, qui ne répugnait pas elle-même à se vêtir comme Oscar, l’encourageait à cultiver cette ressemblance frappante, ajoutant à l’identification en l’appelant Oscaria. Ainsi, celle qui avait souhaité un temps unir son destin à celui qui ravit le cœur de Wilde, partagea-t-elle finalement une partie de sa vie avec celle dont il avait aidé la naissancei.
Dolly Wilde photographiée par Cecil Beaton






Renée Vivien et Nathalie Barney
Quand Wilde fut emprisonné, Nathalie Barney n’hésita pas à lui écrire et à écrire au directeur de la prison. Malheureusement, C.3.3 ne le sut pas et ne reçut jamais la lettre. Une amie me suggère que peut-être, les deux mystérieuses femmes voilées venues rendre un dernier hommage à Wilde sur son lit de mort pourraient bien être Nathalie Barney et Renée Vivien. C’est une hypothèse toute personnelle et qui n’est corroborée par rien, juste une prescience, une intuition, mais c’est une hypothèse séduisante et plausible. Il est sûr en tout cas que Nathalie Barney, qui manquait rarement de servir à ses fameux vendredis les sandwiches au concombre chers à Algernon Moncrieff, entretenait une relation spirituelle avec Oscar Wilde, qui allait bien au-delà de la simple sympathie. Il y avait entre eux une communauté d’âme, des affinités électives. Elle s’est glissée dans sa constellation et s’est imprégnée de sa lumière. Elle a endossé son héritage et l’a perpétré avec une intrépidité qu’il n’aurait pas désavouée. Et ce n’est pas pour rien qu’une place prépondérante est accordée à Wilde dans son livre « Aventures de l’Esprit ». Un coup de chapeau à celui qui s’était porté au secours de la petite fille en détresse et avait ouvert pour elle et sa mère les portes de l’imagination et de la liberté.


Danielle Guérin

Wilde était en prison depuis  mais c’est lui qui paya les frais de l’accouchement, son frère étant alors confronté à de sérieuses difficultés financières.


Car vous êtes l’amazone, et vous resterez l’amazone tant que cela ne vous ennuiera pas, et peut-être  1913

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