Anyone who lives within their means suffers from a lack of imagination.

Oscar Wilde

mardi 17 avril 2012

Deux critiques

Voici deux critiques  de livre que j'ai publié dans le journal en ligne, Rue des Beaux Arts, journal consacré à Oscar Wilde et son cercle.
"More lives than one" de Gerard Hanberry et Oscar Wilde, the first counterculture celebrity" de Joy Shannon 
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Deux nouvelles approches biographiques pour Oscar Wilde
Le problème, quand on ouvre une biographie d’Oscar Wilde ou une étude le concernant, c’est l’impression de déjà vu.
Souvent, il suffit de jeter un oeil sur la table des matières : la répétition est assommante. Depuis les « textes fondateurs » de Sherard, Ransome et Harris, jusqu’à la référence de Ellmann, une biographie d’Oscar Wilde suit une ordonnance qui scande les étapes de sa vie au prétexte de la catastrophe de 1895. Tout s’explique et se tient dans un schéma rôdé comme l’annonce d’une apocalypse. Pas question de déroger à la règle et l’ennui rôde.
Fort heureusement, deux exceptions ont été publiées en 2011. « More lives than one » de Gerard Hanberry et « Oscar Wilde, the first counterculture celebrity » de Joy Shannon, s’éloignent du plan de vol réglementaire pour faire découvrir d’autres vues du paysage wildien. Le premier présente le tableau synoptique de la famille Wilde, tandis que le second se concentre sur la tournée de conférence qu’Oscar a donnée aux Etats Unis en 1882. Deux champs qui sont habituellement réduits à quelques pages dans les biographies et qu’il fait bon découvrir plus avant car, s’ils ne changent pas forcement la donne, ils ouvrent des perspectives nouvelles. Et de ces perspectives nouvelles, un portrait moins photocopié de Wilde peut s’esquisser.
De fait, les deux livres peuvent se superposer comme deux focales différentes, l’une élargit le plan d’ensemble et présente Oscar dans la perspective d’une histoire familiale, l’autre réduit son propos au jeune esthète conférencier qui inventa son personnage. Le temps long et le temps court.
Des décennies pour l’un, quelques mois pour l’autre. Oscar et son irradiante personnalité au centre.
Au centre mais pas tout seul, il partage la scène avec son monstre sacré de mère, la sublime, hors normes, outrée et tragique lady Jane Wilde. Speranza, ou l’espoir jamais aboli de vivre plus haut, plus loin et plus beau que le commun des mortels. Si Oscar Wilde est un maître du théâtre, il le doit peut être à la théâtralisation de la vie au n°1 Merrion Square à Dublin. Etre un Wilde c’est être original et surtout un original remarquable, il est peu d’enfance bercée par ce credo.
Gerard Hanberry fait la démonstration qu’il y faut plusieurs vies pour en constituer une, constat que ne peut démentir l’ermite le plus acharné, et que la famille Wilde ne faisait pas exception. Au regard de l’union de Sir William et Lady Jane Wilde, Oscar est moins un hapax surdoué que l’héritier d’une tradition d’intelligence et de travail. Mais, dans la famille, il reste l’exception par son extraordinaire propension à prendre la lumière et l’ombre.
La vie du clan Wilde, parents et enfants, enfants illégitimes, femmes, amantes et amants, n’est pas heureuse. Elle est traversée de moments de grâce et d’ascension sociale pour le remarquable médecin et chirurgien qu’était William, en plus d’être archéologue et ethnologue, et pour son fils Oscar, qui connut un temps la consécration de son travail d’écrivain. Mais pour le fils comme pour le père, la disgrâce était dans l’ombre portée de la lumière. William et Oscar furent de grands amoureux et Némésis choisit des amours contraires pour briser leur carrière. Miss Travers fut le démon amoureux de William avant de devenir sa persécutrice et de l’assigner en justice. Quelques décennies plus tard, Oscar verra sa vie réduite en cendres par le Marquis de Queensberry, le père de son amant Alfred Douglas. La déchéance d’Oscar ressemble, en mode tragique, à celle de son père. Une funeste duplication qui s’anamorphose à la seconde génération.
A croire que la destinée avait de quoi prendre en grippe autant d’acharnement à ne pas vivre selon la loi commune et de se placer au-delà des conventions dans le monde de l’esprit et l’art. La tragédienne de ce destin cauchemardesque, plus que tous les autres encore, c’est Lady Jane. Dotée d’une force intellectuelle immense et d’une volonté assortie, c’est elle qui rayonne à Dublin, où elle reçoit tout ce que le temps compte d’écrivains et d’artistes, elle qui tient tête à la rumeur, elle qui reste présente auprès de son mari qui s’enfonce dans une dépression mortelle, elle qui porte le deuil de sa fille et qui supporte avec grâce les maîtresse et les enfants illégitimes, elle enfin qui accepte de suivre Oscar à Londres et d’y ouvrir un salon. C’est elle qui, jusqu’au bout, exerce une influence sur ses fils et ses belles filles. Elle qui reste la haute dame du château. La chute de la maison Wilde a des airs de maison Usher, même si la façade reste belle et que la soif de grandeur l’emporte sur l’aveu de décrépitude. Le malheur a ses habitudes avec la famille et les deuils, les échecs et autres douleurs sont les ombres longues qui cernent la flamboyance. André Gide se souvient que Wilde lui disait ne pas vouloir du bonheur mais du tragique. Certains plis de l’enfance vous façonnent à jamais.
Gerard Hanberry fait aussi parler les lieux, l’Irlande de Dublin ou celle de Galway, de Moytura la maison que Sir William fit construire dans le Connemara, de l’air et de l’eau qui forment le paysage intérieur des êtres. Les images de Wilde adolescent ennuyé à Moytura, ou s’occupant sur un site archéologique avec son père, scène dessinée par Willie et puis la scène plus étrange de Miss Travers emmenant les trois enfants, Oscar, Willie et Isola en promenade dans le parc de Merrion Square avec la bénédiction de Jane. Le parc était clos et Gerard Hanberry se demande si ce beau jardin fermé a inspiré plus tard le jardin du Génie Egoïste. L’enfance d’Oscar est silencieuse.
Il y a la densité des lieux et des vies et le livre de Gerard Hanberry possède les qualités d’un roman et la sensibilité d’un auteur qui aime sans restriction ses personnages.
Le livre de Joy Shannon, « Oscar Wilde, the first counterculture celebrity », est radicalement différent.
Joy Shannon, qui est une plasticienne et une musicienne, aborde Wilde avec un parti pris artistique et le place dans la perspective contemporaine de la contre culture.
Oscar Wilde débarque aux Etats Unis, en 1882, déclare son génie et annonce quelque chose de radicalement nouveau, une rupture dans le monde victorien. Entre lui et les différents publics qui vont à ses conférences il existe une multitude de malentendus. Certains malentendus seront dissipés, d’autres embrouillés, des foules ne verront que le personnage fantasmé, certaines personnes plus perspicaces trouveront un jeune homme à la tête bien faite et bien pleine autant que chevelue.
Walt Whitman sera sous le charme de ce « splendide garçon » ; le vieux poète n’était pas la plus insignifiante des conquêtes à faire dans le nouveau monde.
Avec flair, intelligence et une immense culture Oscar Wilde présente des conférences sur le mouvement esthétique et se démarque du personnage de Bunthorne, le héro de la comédie musicale Patience qui le précède à travers tous le pays. Il fait la démonstration qu’une publicité bien orchestrée peut aider la cause de l’art et que le ridicule, s’il ne tue pas, rend plus fort.
Car le pari est un peu fou, tirer profit de sa propre caricature pour imposer son style et ses idées en quelques mois. Il n’est pas encore le Wilde décadent honni des victoriens mais juste un jeune extravaguant. Il est reçu par les observateurs américains avec l’avidité curieuse que l’on accorderait à un extra terrestre. Ils le dévorent de questions lui qui ne ressemble à rien de connu et, si son discours est solidement ancré dans le mouvement esthétique et préraphaélite qui ré enchante l’Angleterre industrielle, sa manière d’être et de vivre sont inédites. Joy Shannon montre à travers les récits des journalistes, les interviews et les témoignages du moment que Wilde bouleverse les codes de la différence des genres. Il apparait à ses interlocuteurs comme un être hybride de masculin et de féminin qui le rendait inclassable et insaisissable. L’esthète délicat n’était pas une femmelette évaporée mais un homme capable de « se débrouiller face aux vicissitudes de l’existence et possédant une intelligence profonde et un grand sens pratique ».
Un jugement qui en dit long sur le regard porté sur les femmes. Et si le trouble persiste c’est précisément parce que « à chacun de ses mouvements, il était facile de déceler une tonalité féminine à sa masculinité ».
Beau comme une gravure, il est un objet de convoitise décorative ou amoureuse. Sa beauté fait des ravages. D’ailleurs lui qui aime-t-il ? Les jeunes femmes le courtisent et lui demandent des mèches
de cheveux. L’idée qu’Oscar soit gay est une évidence pour beaucoup. On va jusqu’à dire qu’il dévoie l’image de l’Esthétisme en lui donnant une connotation explicitement gay que réfutent les tenants du mouvement en Angleterre. La rumeur est déjà là.
Oscar observe avec une lucidité un peu distanciée l’engouement de ses groupies et les critiques de ses détracteurs. Il tient son rôle avec sincérité, le manuscrit de Véra dans sa valise et son avenir d’écrivain en poche. Comme il le confie à des journalistes, il pense à des de pièces, des histoires et des romans. La vie lui est féconde. Il aura une petite dizaine d’années pour en profiter. Joy Shannon fait de cette année américaine d’Oscar l’avènement de la contre culture.
Un happening lumineux. Elle le place en précurseur d’une génération d’artistes qui n’auront de cesse de se réinventer et qui transitent par la Beat Culture, Allen Ginsberg, William Burroughs, David Bowie, U2 et se poursuit par Lady Gaga.
Wilde en esprit tutélaire des fame monsters ? Sans doute, sans doute….
Véronique Wilkin

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